La Brèche

Votre prochain spectacle est né pendant le confinement, lorsque vous vous êtes souvenus du témoignage d’un vieil homme…
Vincent Maillot : Nous retrouver confinés nous a fait nous souvenir des paroles de Monsieur Nativel. Nous l’avons rencontré en 2014 lors de notre première résidence de territoire ; il nous a raconté le blocus total de La Réunion par les Anglais pendant la Seconde Guerre mondiale. La population était totalement privée du ravitaillement des bateaux pendant deux ans, et la situation est restée compliquée jusqu’en 1945. La question de l’autonomie alimentaire est récurrente ici ; elle résonne avec un questionnement plus large. Nous avons tout de suite su que nous en ferions un spectacle. C’était aussi un moment où notre compagnie rêvait de collectif avec les artistes que nous avons formés, et avec ceux qui ont quitté l’île et y sont revenus. Un collectif pour concevoir un cirque endémique de La Réunion.

Ce projet coïncide également avec un autre enjeu de la compagnie : le travail sur l’itinérance…
VM : Nous l’avons déjà abordée dans nos précédents spectacles. Virginie et moi souhaitons proposer des objets artistiques qui ne soient pas enfermés dans des sanctuaires, mais qui s’échappent pour aller au plus près des personnes auxquelles ils sont destinés : le public dans toute sa sociologie. Le mini-chapiteau du spectacle Appuie-toi sur moi permet le collectif et l’autonomie ; il a vite créé du lien dans les quartiers où on l’implantait. Cette fois encore, les huit artistes vont faire société. Avec Virginie, nous avons le goût de l’art total ; c’est l’essence du cirque. Un art à la croisée des chemins, qui n’a aucun scrupule à s’approprier les codes des autres arts. C’est pourquoi il y aura, comme d’habitude, une grande part laissée à l’acrobatie, à la parole et à la musique.

Que signifie le titre, Radio Maniok ?
VM : Il renvoie à deux éléments très importants à l’époque citée plus haut. La radio était alors le seul lien avec l’extérieur et le manioc était la culture que l’île a dû démocratiser rapidement pour pallier la non-importation du blé et du riz, base de l’alimentation jusqu’au blocus. L’autonomie est donc bien le thème central ici. Notre population est habituée à se préparer aux catastrophes, et nous voyons ce que cela génère sur une population de moins en moins habile de ses mains d’une part, et de plus en plus nombreuse d’autre part. En 1940, les Réunionnais ont nommé cette période « les Années terribles ». Or aujourd’hui, nous sommes quatre fois plus nombreux et beaucoup moins solidaires. Dans Radio Maniok, un groupe de jeunes se questionne : que pourrait être l’autonomie heureuse ?